Cheval de guerre


War Horse

De Steven Spielberg
Avec Jeremy Irvine, Emily Watson, Peter Mullan, David Thewlis

Albert Narracott assiste à la naissance d'un pur-sang anglais qu'il surnomme Joey. Alors que le père d'Albert achète Joey sur un coup de tête, mettant en péril toute sa famille, Albert se lie fortement à Joey. Il ne sait alors pas encore qu'un lien exceptionnel va se lier entre eux et leur permettra de traverser l'horreur de la Grande Guerre.



Tendre comme un morceau de chocolat Poulain?

Après s'être attaqué à Tintin, Steven Spielberg revient hanter le grand écran avec un film plutôt surprenant. Edité par Disney, War Horse fait pourtant preuve d'une maturité dans son traitement et d'une plastique particulièrement remarquable. Qu'en est-il du film?

Du visuel

C'est sans aucun doute l'élément fort de ce film. Les plans sont splendides avec une photographie extraordinaire. Si l'on omet la scène finale où le filtre est à mon goût beaucoup trop prononcé pour être honnête (voyez l'affiche du film), les ambiances sont splendides. Que ce soit les terres de la ferme de Narracott, les champs de blés ou le front, l'image est véritablement soignée et elle renforce le récit. Outre le paysage, la mise en scène est également très travaillée avec une certaine retenue, tout en gardant le côté dur de la période historique. A titre d'exemple: deux jeunes frères vont être exécutés pour avoir tenté de déserter (le premier a entraîné le second pour lui sauver la vie). La scène est filmée en plongée avec les pales d'un moulin qui traversent l'écran. Les fusils font feu lorsque la pale cache les deux jeunes. Simple, mais efficace.

Du charnel

L'histoire est très bien menée, c'est un fait. Tout dans l'affiche (la disposition et le titre) indique que l'on va nous conter l'histoire d'un cheval. Et c'est ce que fait le film. Les personnages humains sont secondaires en ce sens qu'on ne les suit que lorsqu'ils sont à proximité du cheval. Pour autant, il ne s'agit pas d'un film avec un cheval qui parle ou dont les pensées nous sont expliquées en voix off. Les humains gardent leur ascendant sur le cheval durant tout le film.

Cela a pour effet d'avoir des approches différentes. Certains tombent sous le charme de Joey et souhaitent le protéger. Mais la plupart du film se déroule pendant la guerre, et la période ne se prête pas véritablement aux sentiments. Qui plus est pour un animal! Le plus fort, c'est que pour une bonne partie du film, Albert Narracott n'est pas présent. Il ne s'agit donc pas d'une poursuite avec de nombreux rendez-vous manqués. Joey vit sa vie durant la guerre, sans qu'Albert soit là.

Beaucoup d'acteurs sont des personnes peu connues, mais tous sont crédibles, même s'il est parfois surprenant d'avoir des Allemands qui parlent l'anglais entre eux. Peut-être que sur ce point, Steven Spielberg aurait pu faire un effort. Quant au cheval - enfin, plutôt aux chevaux, puisque huit auraient "tenu" le rôle de Joey adulte, quatre en jeune cheval et deux à l'état de poulain -, le jeu est très bien rendu et pour une fois, on évite l'écueil de l'anthropomorphisme. Cité dans le magazine Empire, Steven Spielberg confesse: "Lorsque je travaille sur un film avec Indy, je regarde Indiana Jones, pas le cheval qu'il chevauche... Soudainement, je me retrouve face au défi de faire un film où non seulement j'aurais à regarder le cheval, mais je devrais également convaincre les spectateurs de le regarder avec moi. J'ai dû faire attention à ce qu'il faisait et à comprendre ses sentiments. C'était une toute nouvelle expérience pour moi."

Du résultat

J'ai eu du mal à me motiver au départ (je ne voyais pas bien comment cela allait pouvoir être passionnant sur plus de deux heures. Pourtant, dès que j'ai remarqué la manière dont le fil conducteur allait être respecté (on ne suit que le cheval) sans tomber dans les travers habituels (animal qui parle, anthropomorphisme), alors j'ai été séduit. Et l'esthétique est tellement belle qu'on pourrait volontiers mettre le film en pause et contempler les scènes et décors.

De plus, le film a indéniablement une touche "rétro" dans sa manière de présenter les scènes. Certains moments, les charges notamment, m'ont rappelé les scènes à cheval de Birth of a Nation (1915, D. W. Griffith). Steven Spielberg lui-même admet que son film adopte un style de narration désuet. Mais cela permet de renforcer le lien avec l'époque décrite, sans pour autant tomber dans la fresque historique. A présent, la force du film, à savoir rester centré sur le cheval, est également sa faiblesse: les scènes où l'on retrouve Albert -sans Joey- perdent un peu d'intérêt. Mais les retrouvailles sont très poignantes.


Post scriptum

Comme de coutume avec Steven Spielberg, il est difficile de crier au génie. Certaines ficelles sont grosses, et il ressort souvent de ses films une certaine naïveté. Mais il est également difficile de lui jeter la pierre, surtout lorsqu'il livre un exercice comme celui-ci. Non seulement il a su s'affranchir du dangereux carcan mielleux de Disney, livrant ici un film avec des moments d'une grande intensité dramatique, mais en plus, il a un regard bien à lui. Pas vraiment contemplatif, mais pas hyperactif non plus. Après, il ne tient qu'au spectateur de se laisser entraîner... ou pas. Pour ma part, je reviens d'un beau, mais terrible, voyage.

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